10 janvier 2011

Quelques questions et leurs réponses...

Suite à quelques questions d'une amie Facebook, Lise, représentant le grand public, j'ai répondu un roman-fleuve. Vous savez, mon incapacité à faire des réponses courtes... En prime, j'ai eu une idée pour une série de message à suivre ici. Si vous êtes curieux du travail de camionneur, ça devrait vous intéresser.

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Première question: C'est quoi un Lebanon? (on commence fort!)

Réponse:  Lebanon, c'est une ville du Tennessee ou ma compagnie livre au moins 15 voyages par semaine... et comme j'habite à deux pas du client, qui est à Joliette, alors j'en fait plus que ma part.

Et quand j'en fait deux, c'est qu'un chauffeur copain m'en a approché un à London ou à Windsor, en Ontario.
On devrait donc parler en réalité d'un et demi.


Question: Es-tu toujours seul quand tu voyages ou si un passager peut t'accompagner? Je ne crois pas que tu puisses encore embarquer un "pouceux" à cause des assurances mais sur un long circuit, ta blonde ou un ami peut-il te tenir compagnie ou si seulement un deuxième chauffeur peut être passager?

Réponse:  Réponse courte: ça dépend...

Réponse plus élaborée: ça varie d'une compagnie à l'autre. Chez nous, on peut ben amener épouse et enfants (bon, il ne demande pas le certificat de mariage, fa que tu peux ben amener l'épouse du voisin!), en autant que tout ce beau monde ait un passeport en règle.

Question douanes, je n'oserais jamais embarquer d'étranger. Ex: une fille que je connais "comme ça" d'Internet m'a déjà demandé si je pouvais l'amener au Texas. Je ne serais pas brave à ce point, car si qqun dans mon camion passait de la drogue (ou de l'alcool, en camion c'est strictement interdit), je serais fort probablement barré des États-Unis (entrée interdite) pour un sapré bout de temps.

De toute façon, mon camion actuel n'a qu'un lit simple. Je ne veux même pas amener mon propre frère, et ma conjointe, ben inque juste (parce que c'est beau collé, mais on ne dort pas si bien, et moi, j'ai une journée à faire au réveil).

Certaines compagnies, la plupart transportant des fruits et légumes de la Floride ou de la Californie, roulent à deux chauffeurs. L'un conduit pendant que l'autre essait de dormir. Il parait que parfois ils y arrivent... à dormir. Moi, j'ai fais ça deux semaines en commençant ma carrière, et j'ai dormi une fois de retour à la maison!


Commentaires de l'intervieweuse: Je comprends qu'en fait les entreprises n'imposent pas de contraintes quant au passager mais que tu protèges tes conditions de travail. Certain que tu privilégies tes conditions de vie (lit simple pour toi tout seul), que tu veux rester alerte (en dormant le temps qui t'est alloué) et être certain de pouvoir continuer ton travail (pas de pouceux). C'est intelligent et consciencieux! T'es donc de la race qui nous securise sur la route en plus d'être la roue (qui vient avant la derniere main) qui nous nourrit... En fait la tendance doit etre générale, les gars ne veulent pas perdre leur travail et les performances de chacun doivent être analysées... Ça doit être la jungle! Peut-être que non finalement parce que je pense que vous avez un maximum d'heures de conduite à ne pas dépasser et des pauses à respecter, non?

Réponses aux questions sous-entendues: Au sujet des passagers, certaines compagnies l'interdisent complètement, d'autres permettront les conjointes, parfois les enfants, des fois juste si ils sont majeurs, ou quoi encore? C'est vraiment propre à chacun, selon leurs humeurs, ou peut-être leur contrat d'assurance.

C'est la même chose lorsque vient le temps d'entrer dans une usine. Certaines exigent que le passager soit aussi un chauffeur (pour le cas ou il y a une équipe de deux chauffeurs), d'autres laisseront entrer seulement un adulte, d'autres les enfants. Dépendemment des dangers et là encore des assurances.

Ça pourrait donc arriver que j'amène ma fille, mais qu'en allant livrer, le gardien me dise de laisser ma fille avec lui à la guérite le temps que je suis dans leur cour. Parfois, il faut s'assurer de ce genre de politique avant le départ.

Je crois donc que nous avons, pour les passagers, une belle confiance et une belle liberté chez TJB.


Ensuite... J'essaie en effet d'être de ceux qui mettent la sécurité de tout le monde (moi comme les autres usagers de la route) en priorité. Une bonne majorité des chauffeurs de camions, je le crois sincèrement, sont du même genre. Ça n'empêche pas parfois d'étirer l'élastique de temps en temps. Mais très rarement, dans mon cas à tout le moins, au point de mettre la vie des autres usagers de la route en danger.

Dans la majorité des cas, les chauffeurs sont vraiment des professionnels de la route. Il faut par contre comprendre, du côté des "citoyens ordinaires" (lire: les automobilistes), que comme un camion est gros, lourd, imposant et intimidant, les impressions sont faussées. On aura toujours l'impression que "c'est ben pire que la réalité". Un exemple vite fait: dans un reportage récent à TVA portant sur les limiteurs de vitesse, les gens du public interrogés ont tout dit que les camions allaient encore trop vite! Et pourtant, tous les camions, venant de n'importe ou, sont "barrés" à 105 km/h!

Combien de voitures roulent aussi lentement sur une autoroute? Ou est Jean-Marie de Koninck lorsqu'on a besoin de lui? Ah, c'est vrai, c'est juste des automobilistes... Et que dire des chauffeurs d'autobus... Eux pourtant ont des vies à bord! Moi, quand ben même que je répandrais mes pneus ou mes rouleaux de papiers, tant qu'il n'y a personne en dessous, ce n'est pas si grave! Sauf pour moi...

Une simple visite à bord d'un camion, même à l'arrêt, donne une bonne idée de notre réalité. Entre autre pour les angles morts. On peut y cacher 5 ou 6 voitures... Alors l'osti de zouin-zouin qui prend une heure à faire un dépassement, on ne le voit plus pendant longtemps... Grrr! Méditez la dessus lors de votre prochain dépassement de camion.
 
Depuis deux ans environ, dans le camionnage, il y a eu beaucoup de compagnies qui ont soit rapetissées, soit fermées. Donc, chez celles qui restent en vie, il y a énormément de chauffeurs en attente d'être embauchés. Aussitôt qu'un camion se libère, en quelques appels (la présélection étant faite), un nouveau chauffeur est engagé et le camion sera de retour sur la route en peu de temps. Ce n'est effectivement pas le temps de se faire détester. En même temps, nous conservons quand même un droit à l'erreur. Sauf que si ça devenait systématique, la porte serait proche...

Encore que... lors de l'embauche, une certaine vérification des emplois précédents est effectuée. Ainsi qu'un test sur la route. Généralement, un chauffeur embauché sera compétent et, si il fait le moindrement des semaines raisonables (question distance parcourue), aura du travail tout le temps qu'il le désire. Parce que dans bien des cas, à la recherche d'un idéal inexistant, le chauffeur ira voir ailleurs. Souvent après quelques mois. Six, douze mois... Deux ans, maximum pour bien des cas.

Pour l'anecdote: aujourd'hui marque le neuvième anniversaire de mon embauche chez TJB. Je fais parti des meubles. Un seul chauffeur sur la liste de paie est plus vieux que moi dans la compagnie. Si on inclut tout le monde, je dois être vers le cinquième rang, au maximum dix. Comme on était attablé à un restaurant pour la fête de Sarah (ma fille), je dis tout haut: "tant qu'à fêter, ça fait neuf ans que j'ai mon travail". Mon beau-frère, lui aussi camionneur, répond: "je n'ai jamais été aussi longtemps à la même place"! Quand j'ai dit, après six ans, que j'avais maintenant eu ma semaine de vacances supplémentaires (nous sommes sous les normes du travail fédérale, vraiment minime!), beaucoup de chauffeurs n'avaient jamais entendu parler de ça! Symptomatique d'une industrie basé sur les relations humaines ou paradoxalement il y a le moins de respect des autres... et tellement de chauffeurs qui ne savent pas ce qu'ils veulent eux-mêmes!

Le temps de travail est en effet gouverné pas les lois du tranport. Et vérifié sur la route, aux balances ou par un patrouilleur, ou au bureau pendant plusieurs années par visite de routine ou surprise. Et scrupuleusement examiné en cas d'accident.

Afin de bien nous mélanger (et ainsi pouvoir nous coincer...), la loi est différente au Canada et aux États-Unis. Pour nous qui faisons les deux côtés, les risques d'erreurs sont là.

Donc, au Canada, nous avons droit de rouler 13 heures par jour, à l'intérieur d'une fenêtre de 16 heures, et sommes obligés d'être arrêter pendant 8 heures avant de repartir. Pendant la journée de travail, 2 heures de pause, en portion de 30 minutes et plus, doivent être prises.

Aux États-Unis, on parle de 11 heures par jour, d'une fenêtre de 14 heures et d'une seule pause de 10 heures.

En plus de ça, nous avons une limite pour la semaine. Maximum de 70 heures dans les 7 derniers jours de travail pour le Canada. Mais de 70 heures dans les 8 derniers jours pour les États-Unis.

Notez que c'est la version simplifiée. Il y a quelques autres subtilités!

La jungle de tout ça vient du fait que tout ce beau système est basé sur la confiance. Le chauffeur doit écrire ce qu'il fait dans un registre... mais il peut bien écrire ce qu'il veut. Les États-Unis commencent à peine l'obligation d'installer une boite noire, qui ne pourra pas mentir, ou étirer l'élastique...

La jungle aussi vient du fait que nous sommes rémunéré à la distance parcourue (sois-disant pour nous "pousser dans le cul"), mais limité en heures de conduite et de travail.

Donc, par exemple, si je roule à 100 km/h, j'ai un salaire raisonnable à l'heure. Mais si je suis dans un bouchon de circulation, à ne presque pas rouler, alors là, aucune compensation...



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Pour tous les lecteurs: si vous avez des questions générales sur le métier de camionneur, sur la vie sur la route, ou sur la compagnie pour laquelle je travaille, soit Transport Jocelyn Bourdeau, n'hésitez pas à les poser. Vous pouvez les envoyez à l'adresse dans l'entête en haut du blogue.

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