17 octobre 2008

La route des pauvres

7 septembre 2008

La semaine dernière, comme nous passions chez la notaire pour finaliser l’achat officiel de la maison, ainsi que les testaments et les mandats en cas d’inaptitude, j’ai dû commencer ma semaine de travail mercredi soir… Ouf! Il ne restait donc pas beaucoup de temps. En effet, moi qui viens d’une région où tout le monde travaille dans une usine qui n’arrête jamais, autant pour les jours de la semaine que pour les fêtes et congés fériés, j’aurais cru qu’en étant camionneur, je pourrais livrer n’importe quel jour de la semaine, autant de jour que de nuit. Ah, que je m’étais mis le doigt dans l’œil. Bien sûr, il y a parfois des clients où la production fonctionne sur 24 heures, parfois même sept jours par semaine, mais ce n’est pas dit que la réception et l’expédition (ce dont les camionneurs ont besoin) fonctionnent en dehors des heures de bureau classiques.

Toujours est-il que l’on m’assigna un chargement de carton (le carton qu’on enroule sur un rouleau de papier pour le protéger pendant son transport) à destination de la ville de Franklin, VA. Avec, selon les papiers de douanes du client, un passage à la douane de Champlain, NY. Et contrairement aux papiers habituels (disons plutôt : les plus courants), il n’y avait aucune possibilité de choisir à laquelle douane la compagnie ou moi-même préférions traverser. Je dis tout ça parce que qui dit « douane de Champlain » dit « New York Thruway, New Jersey et la I-95 » tout au long jusqu’à Richmond, VA. Bref, pas le plus intéressant chemin pour les camionneurs. Pour toutes sortes de raisons, il eût été plus pratique de traverser à la douane d’Alexandria Bay, NY, un peu plus à l’ouest. Celle-ci permet de se sauver de toute une panoplie de routes et ponts à péage, ainsi que d’éviter les villes de New York (qui malgré qu’on ne fait que l’effleurer a une circulation incroyable!), Philadelphie, Baltimore et Washington, DC.

J’ai donc commencé mon voyage par aller accrocher ma remorque au garage et à me rendre pour la nuit à l’Oasis (je crois que ça ne s’appelle plus comme ça!), à Saint-Bernard-de-Lacolle, à six kilomètres de la douane. En partant de tôt matin, je pourrais rejoindre mon client pour sept heures, tel que demandé par mon répartiteur, sous prétexte que ce client n’est pas le plus rapide sur le déchargement, et que comme c’était un vendredi, il fallait s’assurer d’être capable de recharger le voyage de retour.

Peu après six heures, j’étais à la guérite de la douane de Champlain, NY. À mes dernières visites à ce port d’entrée, j’avais visité le Rayon X à chaque fois, sauf celle où j’ai dû aller comprendre la nouvelle façon de faire des courtiers de douanes (le mien n’avait pas de bureau sur place!). Et d’avance, une douane où l’on ne passe pas souvent n’a pas de donnée nous concernant dans son système, alors c’est toujours plus incertain. Disons qu’un douanier qui voit des données pour chaque semaine avec le même camion et le même nom, ça se présente mieux.

Mais pas toujours, semble-t’il. Cette fois, je suis passé comme une lettre à la poste. J’étais bien content, et aussitôt de retour sur l’I-87. Ah, cette route est mythique pour moi. Dans mon premier travail de camionneur, je faisais cette route à presque toutes les semaines, parfois même deux fois dans chaque direction. Il y a bien des voyages où l’on prenait la direction de Derby Line, VT, et plus rarement (c’était pour les voyages de bazous), celle de Highgate Springs, VT (ah, Chez Bernadette avec sa ravissante Bernadette!), mais la I-87 représentait quelque chose de spécial. Une certaine évasion peut-être. Ou peut-être cela a-t-il à voir avec le fait que ce soit la route pour New York? Je ne sais pas trop. Possiblement même tout ça à la fois.

Ou est-ce simplement que, faisant maintenant plus souvent la section centrale des États-Unis, je me retrouve le plus souvent sur la 401 en Ontario pour me rendre à Détroit, MI alors toutes les autres routes me provoquent un sentiment de manque? C’est bien possible, et ça expliquerait pourquoi la 17 en Ontario, direction Sault-Sainte-Marie, me fait le même effet.

Toujours est-il que me voilà sur la I-87. La première heure se passe sur le plat, puis arrivent les Adirondack. Cet amalgame montagneux, car je ne suis pas certain qu’on peut parler d’une chaine, est magnifique en toutes saisons. Et si vous avez la chance, allez vous y promener. Mon péché? Une crème glacée de chez Ben & Jerry au Lac Placide. Suivi de celui de Caro, des ailes de poulets au Bears’ Den sur la NY-37 chez les Mohawk, près du pont de Cornwall, ON.

De retour en camion. La I-87 dans les Adirondack compte deux côtes majeures. En fait, majeures pour l’est du continent. Une fois que tu as vu les rocheuses via la I-70 à Denver, ça remet en perspective la notion de ce qu’est une côte. Donc, la première côte arrive à Elizabethtown, NY. Ici, on sépare les hommes des enfants. Ou les camions montés pour faire le centre des États-Unis (c’est mon cas) de ceux montés pour la côte est. Mon Wes’ est plutôt lent lorsqu’il s’agit de travailler fort. J’ai donc tout le temps voulu pour observer la flore et les parois rocheuses. Magnifique!

La deuxième côte arrive à Warrensburg, NY. Un peu plus douce que la précédente, elle n’en pogne pas moins au cœur pour autant. Ensuite, tout ce qui monte redescendant, la descente nous amène au Lac Georges. Pour y être allé une fois lors de l’Américade (le congrès de l’AMA), ce village est aussi très beau, sur la rive d’un grand lac paisible.

Un peu plus loin arrive Wilton, NY et son Scotty’s Plaza. J’y ai si souvent mangé. Et dormi aussi. Je me demande ce que la belle Charlie est devenu. On a vu sa bedaine se gonfler, puis, elle a cessé de travailler. Je l’ai vu lorsqu’elle est revenue présenter son poupon. Un bel adon. Et Angela, qui me charme toujours autant, sans que je ne sache pourquoi.

Bon, comme il n’y a pas de temps à perdre, je remplis ma tasse de café et je reprends la route. Une cinquantaine de kilomètres plus loin arrive le New York State Thruway, l’autoroute à péage qui relie New York, la capitale Albany, Syracuse et Buffalo. Cette route est complètement autonome de l’État, autosuffisante : les péages reçus suffisent pour l’entretien, la réfection et le développement. Elle a même sa propre troupe de policiers, qui ne sort jamais de ce territoire. Bon, c’est assez dispendieux pour un camion, par contre. Mais bon, un péage est déduit des taxes de carburant et de circulation à payer (ailleurs, je ne suis plus certain, mais c’est le cas sur le New York Thruway).

Sur l’autoroute payante, il y a une halte complète à chaque 50 kilomètres environ. Lors de la construction des haltes, il fut décidé d’y aller en PPP : celles où il y a un WcDo ont été payé par, et appartiennent à, WcDo. Les autres appartiennent à l’état de New York. J’arrête donc manger mon diner à la halte de Modena, NY, juste avant de ressortir de la section payante (car en approchant de la ville de New York, l’autoroute demeure le New York State Thruway, mais il n’y a plus de péage.
Une fois rassasié, j’ai repris la route. Un peu plus loin, j’ai payé mon dû, puis j’ai senti une petite excitation m’envahir : le New Jersey approchait. Je suis passé devant le Ramapo, la dernière halte avant la grande ville. Cette halte est beaucoup trop petite pour tous les camions qui tentent de s’y arrêter avant une livraison pour le lendemain soit à New York, soit dans le New Jersey. Et les relais de camions qui sont pour ainsi dire inexistants dans les environs! Comment peut-on être arrivé pour une livraison à six ou sept heures alors que le plus proche relais est à plus de deux heures de route? Probablement pour cette raison que beaucoup de camionneurs fuient New York comme la peste!

Puis, peu après le village de Ramapo, j’ai tourné sur la I-287 afin de contourner la ville de New York. Aussitôt sur cette route, l’affiche nous souhaitant la bienvenue au New Jersey nous salue. Avant de s’y présenter, nous devons savoir (par science infuse, parce que ce n’est indiqué à aucun endroit) que toutes les routes secondaires de cet état sont interdites au camions. TOUTES! Tellement toutes que même les routes dont le numéro débute par les lettres US (sous-entendant que le gouvernement fédéral a contribué à sa construction et contribue à son entretien), qui ne peuvent être interdite au camion, par le fait qu’elles font parti de ce qui est appelé aux États-Unis le réseau national d’autoroutes, sont interdites dans le New Jersey! Les camions ne peuvent circuler que sur les autoroutes, en bleu dans l’atlas Road & McNally. Avec les autoroutes payantes… Seules exceptions : si vous allez livrer ou cueillir un chargement à l’intérieur de l’état. Parce que le New Jersey est un état où tout le monde passe, mais peu s’y arrête…

Ah! Le New Jersey! Combien de chargements de cuivre livrés à Kenilworth? Et un chargement de contreplaqués indigne même de faire du feu ramassé au port de Camden! Et les conteneurs du port d’Élizabeth! Et combien d’autres endroits que j’ai oubliés… Le plaisir d’être « crocheté » partout, parce que les rues ont été conçues du temps des calèches. Depuis le temps, arriva l’automobile, le camion (de 96 pouces), le camion plus large (de 102 pouces)… Et toujours, l’impossibilité de se stationner nulle part! Sauf derrière les Wawa! Enfin, une chaine de dépanneurs qui pensa à nous : ça nous arrive d’avoir envie d’un café et besoin d’une toilette!!! La plupart des Wawa, présent dans le New Jersey et l’est de la Pennsylvannie surtout, ont quelques (de 3 à 5 disons) places qui peuvent contenir des camions.
Autrement, dans le New Jersey, les relais de camions… je devrais dire, les endroits où il est possible de se procurer du carburant sont si minuscules que lorsqu’un camion fait le plein, sa remorque dépasse un peu sur la rue!

Et c’est au New Jersey que j’ai compris, alors que j’étais un tout jeune débutant de quelques mois d’expériences, comment il est possible de manipuler un ensemble camion et remorque (cette fois, la remorque avait quarante-cinq pieds) dans un endroit exigu.

Un mois plus tôt, j’avais été à Long Island City qui, comme son nom ne l’indique pas, est situé dans le quartier du Queens de la grande ville de New York. Ce fût un événement mémorable en lui-même. L’endroit où j’avais dû entrer avec le camion et la remorque était, pour dire le moins, très exigu. Je devais effectuer un virage sur la gauche dans une rue à sens unique, à une voie et demi de large, avec des automobiles stationnées de chaque côtés, à perte de vue… sauf quatre ou cinq place devant la porte par laquelle je devais entrer. Après trois essais, et de nombreuses réflexions avant chacun, j’avais finalement réussi. Une fois à l’intérieur, j’avais pu voir que les camions du client empruntait la même technique que moi, mais avec un camion à nez court, sans couchette, et avec une remorque de… pas plus de trente ou trente-cinq pieds! Rappelons que mon camion avait un gros nez, une couchette de quatre pieds, et ma remorque mesurait quarante-cinq pieds… Ça m’avait fait un velours. Et j’avais compris que, malgré la grosseur du véhicule, si le chauffeur s’y prend de la bonne façon, lentement et tout en douceur, il est possible de passer par les chemins les plus petits, les plus encombrés…

Revenons donc au New Jersey. On m’avait assigné un chargement de billots de bois d’œuvre. Je me suis tout d’abord présenté au champ, tel que demandé par mon répartiteur. Il y avait bien de la machinerie abandonnée, mais pas de signe de vie. Après un peu d’attente, le fermier à qui appartenait la terre vint faire son tour. Il était surpris de ma présence. Le client n’avait pas prévu de se rendre cette journée-là. Je lui répondis que si on m’avait dit de me présenter, ça devait être que le client finirait bien par arriver! Que j’étais naïf à cette époque…
Vers la fin de l’après-midi, le fermier téléphona à mon client. Évidemment, je n’étais pas à la bonne place. Il me transmit les indications pour retrouver mon client, qui m’attendait sur les lieux de la coupe de bois.

Arrivé à la bonne sortie d’autoroute, la camionnette annoncée m’attendait. Je la suivis afin de me rendre là où m’attendaient les billots. Dans une toute petite rue, dans un nouveau quartier en construction. Le client m’indiqua l’endroit où il voulait que je place ma remorque. Ouf! Je vais devoir manœuvrer!

J’ai dû monter, à reculons, en tournant sur ma gauche à quatre-vingt-dix degrés, dans un petit chemin de terre battue, incliné à environ quarante-cinq degrés dès le bord de la rue, s’élevant presque plus haut que le toit de mon camion, en zig zag, pour finir sur un plateau à peine long comme le camion et la remorque. Là encore, j’ai réussi.

Le client, pensant que j’allais abandonner avant d’avoir réussi, s’étonna lorsque je débarquai du camion afin de le regarder charger les billots. Il me dit :
- Tu es un très bon chauffeur!
Après l’avoir remercié pour le compliment, je lui ai raconté mon aventure à Long Island City…
- Mes confrères ne me croiront pas lorsque je vais leur dire que j’ai fait monter un camion jusqu’ici! a-t-il répondu.
Ah ben le mausus! C’était donc un défi qu’il m’a lancé. J’étais encore plus fier de l’avoir relevé. Et encore plus convaincu que je pouvais manœuvrer mon camion n’importe où, même si ça ne semble pas avoir d’allure!!!

Toutes ses pensées m’aidèrent à parcourir l’I-287. De mémoire, je savais que je devais prendre la voie de service à la hauteur de la I-78, afin de mieux prendre la US-202. Voilà, je devenais illégal. Par contre, mon beau-frère m’avait raconté, lui qui patauge dans ces régions, que jamais il n’avait vu personne ne se faire vérifier. J’étais donc confiant, mais c’est toujours les choses qui ne se peuvent pas qui m’arrivent, alors j’étais un peu inquiet… Je n’avais donc pas intérêt à me faire remarquer.

L’US-202 est un boulevard urbain où se sont installé beaucoup de laboratoire pharmaceutique. Il y a donc une circulation assez intense le jour. Ça m’a permit de me rappeler que jadis, nous empruntions cette route de soir! Il y a donc aussi de nombreux feu de circulation. Donc, c’est long… Puis arrive la NJ-31, au deuxième rond point. Dans mes débuts, il n’y avait pas encore beaucoup de rond point au Québec, alors c’était plutôt rigolo de franchir ces intersections.

Puis, en peu de temps, me voici rendu dans les banlieues de Trenton, NJ. C’est ici que je rejoins l’I-95, que je reprends vers le sud. En quelques minutes, me voici en Pennsylvannie, pour la grande traversée de Philadelphie. Par cette route, la ville de Philadelphie se traverse plutôt bien. La circulation est plus intense perpendiculairement, soit d’est en ouest. J’ai pu voir les ponts vers le New Jersey qui étaient très densément peuplés. Mais sur ma route, presque rien!
La I-95 longe la rivière Delaware. Nous pouvons donc y voir beaucoup de ports et une énorme base navale. Ensuite, vient l’aéroport, aux côtés des stades de baseball et de football et de l’aréna, respectivement pour les Phillies, les Eagles et les Flyers, pour le peu que je m’y connaisse en sport professionnels.

Peu après arrive le Delaware. Le premier état à avoir signé la constitution américaine. Si petit qu’on se demande pourquoi il ne fait pas parti du Maryland? D’ailleurs, je me demande bien ce qui a définit les frontières des états américains? Parfois, c’est évident, comme lorsqu’il y a une rivière qui sépare deux états, mais pour les états rectangulaires, comment ont-ils fait?

J’ai pris l’I-495 pour contourner la ville de Wilmington, DE. Parce que l’I-95 a une drôle de configuration dans la ville de Wilmington : assez tordue, disons. La I-495 de son côté, continue de longer la rivière Delaware. J’y ai donc encore vu des ports, et la zone industrielle de cette ville.

En peu de temps, j’ai rejoint l’I-95, dont il ne restait plus beaucoup. Et c’est à ce moment que j’ai pensé à la « route des brokers »… Dans mon ancienne vie, nous empruntions cette route régulièrement. Certains chauffeurs l’appelaient la « route des brokers » parce qu’elle permettait de contourner tous les péages, sauf celui du New York Thruway. Contourné le Delaware Turnpike, contourné les deux péages du Maryland ainsi que le tunnel de Baltimore (qui en plus est souvent congestionné) et finalement évité la congestion perpétuel de Baltimore et Washington. Bref, un bon coup, monétairement (pour la compagnie) et en temps. Et comme c’était plus long pour économiser de l’argent, j’ai de mon côté donné le nom de « route des pauvres » à ce chemin.

Poursuivant ma route, je devais emprunter la sortie 1, tout juste avant le péage, pour suivre la DE-896 sud. Je rejoindrais ensuite à US-301 qui me ferait traverser le Delaware à travers champs.

En sortant de la ville de Middletown, juste avant la frontière avec le Maryland, je me suis arrêté au relais de camionneur. J’en ai profité pour m’acheter un souper : ce fut des lanières de poulet maison. Accompagnés de patates en pointes (ressemblant à nos patates grecques) et d’une boisson gazeuse. Tout pour la santé, quoi! Au moins, les lanières étaient si grosses que je n’en ai point manqué! Ce qui est loin d’être le cas dans les restaurants-minutes (ce que j’ai vérifié depuis dans un Wendy’s sur la 401!)…

Une fois rassasié, je suis reparti pour conquérir le Maryland. J’ai repris la US-301 vers le sud en direction de Washington, la capitale. Quelques kilomètres plus loin, la pancarte « Bienvenue dans le Maryland » nous accueille, ainsi que la halte-kiosque touristique habituelle. Cette section du Maryland, un peu à l’écart de l’autre partie, plus continentale, est très axée sur les vacances et la présence du l’océan et de la baie de Chesapeake. J’ai habitude de dire que « chaque maison a un bateau accroché à sa galerie »… Bon, disons que ce n’est pas toutes les maisons qui ont un accès direct à l’eau, mais on peut voir que le loisir principal est le nautisme. Et je n’ai donc pas de difficulté à partir dans mes rêves…

À Queenstown, la route devient la US-50 et elle bifurque directement vers la ville de Washington, soit franc ouest. Évidemment, il faudra bien traverser la baie… Et voilà que, même si je l’avais oublié, se dresse devant moi le pont de la Baie! Moi qui aie le vertige, j’en tremble d’avance, aussitôt que je voie les affiches disant « Pont de la Baie, par là ». Alors j’ai le temps d’avoir peur d’avoir peur bien avant d’arriver. Je me souviens que j’ai toujours eu la chienne d’emprunter cette route. Et voici que, ayant pleinement le choix de mon trajet, je l’ai emprunté volontairement! Ah, là je me reconnais!

Le pont de la Baie est un immense pont d’une hauteur gigantesque. Il est constitué de deux sections totalement indépendantes, une pour chaque direction. À cet endroit, la baie de Chesapeake fait six kilomètres et demi de largeur. Et ce qui me traumatise le plus, c’est que le pont n’a pas vraiment de côtés : un simple morceau de métal se rapprochant d’un madrier. Alors, évidemment, je me vois déviant un peu de ma voie (les camions doivent rouler dans la voie de droite), qui n’est pas plus large que le minimum, touchant le rebord et, avec le balancement de la remorque, littéralement crissé l’camp en bas! Et le pont est tellement haut que, pendant la descente aux enfers, tu as tout le temps qu’il faut pour téléphoner à tous tes amis pour faire tes adieux… si tu n’es pas trop occupé à faire dans tes culottes! Bref, ça me fout la chienne.

Je croyais dès mes débuts que j’avais la phobie des ponts, mais la circulation sur différents spécimens m’a depuis révélé que j’ai hérité du vertige de ma mère. Je n’aurais pas pu hériter que des bons côtés, évidemment! Le pont de la baie de Chesapeake, en Virginie, long d’une trentaine de kilomètres, incluant deux tunnels, à fleur d’eau (tellement que lors de forts vents, les vagues passent par-dessus alors il doit être fermé à la circulation), me révéla que, bien que pas rassuré du tout de rouler au dessus de l’eau aussi longtemps, je n’eus pas si peur que ça. Je dois aussi me parler (afin de me convaincre que si le pont tient debout depuis si longtemps, il doit être capable de supporter la circulation) lorsque le pont semble fait en cure-dents, comme ceux, dans le Kentucky, sur la US-68 entre Canton et Aurora. Ces deux ponts sont très vieux, et ils sont construits à la manière des ponts couverts, sans les murs. Ils étaient si peu larges que si j’avais eu à rencontrer un autre camion, je crois que les miroirs auraient fait Ke-Kling… Mais, bien que constituant un raccourci, j’étais le seul clown qui s’était aventuré par là en camion, au début de la nuit en plus!

Le pont Huey P. Long, près de la Nouvelle-Orléans, en Louisiane (que je crois d’ailleurs avoir reconnu dans les photographies de Sophie), m’a impressionné lui aussi, mais sans toutefois me traumatisé. Il monte très haut, très rapidement, et le train circule entre les deux sections automobiles. Par contre, le train doit monter moins abruptement, donc le rail commence à monter en ville, lentement et longtemps. Et il redescend de la même façon de l’autre côté, lentement et longtemps…
Donc, les ponts qui montent très haut, pour laisser passer en dessous les immenses bateaux transatlantiques, m’impressionnent ou me traumatisent, c’est selon… Je préfère les tunnels!

Revenons donc au Maryland. Une fois redescendu du pont de la Baie, qui n’est pas payant en direction de Washington, en peu de temps j’étais rendu à Washington. J’ai donc pris la I-95 en direction sud. À cet endroit, la I-95 contourne la ville de Washington. Le pont au dessus de la rivière Potomac vient d’être reconstruit ces dernières années. Avant, il y avait une section levis afin de laisser passer les bateaux, mais celui-ci a été construit un peu plus haut. Bien sur, arrêter la circulation d’une autoroute à six voies ne devait pas être une mince affaire.
Ensuite, la route se poursuit vers le sud en Virginie. Une heure et demie plus tard, j’arrive à Richmond, que je contourne via la I-295. Et c’est probablement la seule ville où la voie de contournement est plus courte que la voie qui passe à travers!
Sitôt de retour à la I-95 au sud de la ville de Richmond, je sors de l’autoroute pour prendre la VA-35 vers l’est, pour rejoindre ma destination, soit la ville de Franklin, VA, qui est situé assez proche de la côte. Comme il y a un petit relais, j’en profite pour me procurer un café, parce que je me doute bien, à voir la route sur la carte et ce que j’en vois à ce moment, que si ce n’est pas tout de suite, ce ne sera que rendu à l’autre bout, donc chez le client.

À ce moment, il me reste quatre-vingt kilomètres. La route s’annonce très étroite, et il fait un temps brumeux. Et il fait encore nuit. Je reprends donc la route, café en main (ben, en fait, dans le porte-tasse qui tourne). Je déambule lentement sur la route. Il y a peu de monde de si tôt matin. Arrivé au village de Courtland, VA, je tourne avec la VA-35… pour me rende compte que je devais continuer tout droit, dans le village, sur la route qui devient la US-58! Oups. Je me stationne sur une excroissance sablonneuse disponible par hasard au bon moment, je constate mon erreur, et je fais demi-tour.

Je reprends donc la US-58 pour les vingt-cinq kilomètres restant, qui se dérouleront sans problèmes. Arrivé dans la ville de Franklin, VA, je me suis dit, comme m’avait dit un garagiste de Clermont, QC : « si tu cherches le moulin à papier, cherche la boucane, c’est là! » Bien sur, j’aurais dû savoir, moi qui ai grandi à l’ombre d’une usine de papier, qu’une colonne de vapeur en sort toujours dans le ciel… Mais, en ce matin brumeux, où l’on ne voyait « même pas l’chien su’l hood » (expression du temps où je conduisais un Mack : un camion Mack a toujours un chien Bouledogue sur le bout de son capot), chercher de la vapeur ne m’était d’aucune utilité! De la route, j’arrivais à peine à distinguer les maisons. Une fois le village traverser presqu’en entier, alors que je me cherchais presqu’un endroit où me stationner afin de chercher des informations, je vis une pancarte disant : « camion pour l’usine de papier, continuer sur la route par là », ce qui donnait droit devant moi. Après, par contre, plus aucune indication… On se serait cru à Montréal, où les pancartes sont si rares!

J’ai donc décidé, voyant quelques remorques dans une cours, de m’y stationner afin de chercher dans mon ordinateur « où c’est que l’criss que l’usine est passée ». Ah, je devais contourner par en arrière afin de rejoindre la bonne rue. Probablement que la rue où il y avait la pancarte disant de passer tout droit avait été bouché par un agrandissement quelquonque, assez courant dans le domaine des pâtes et papiers : on agrandie? On ferme la rue!

Bref, à la première tentative, j’entre à une guérite destinée aux billots, où le gardien me regardait comme un extra-terrestre, comme si je devais savoir où était l’usine! Notez qu’à ce moment, pourtant si près, je ne l’avais toujours pas vu, ladite usine!!! Quand on dit brumeux… Le bon gardien m’indiqua par où passer. Enfin, presque. Disons qu’il a oublié un arrêt… mais lui qui travaille sur le premier coin du terrain de l’usine, il n’a probablement jamais été via l’autre coin! Et comme le chauffeur de camion finit par développer un sixième sens, ou une chance du débutant permanente, j’ai suivi mon pif-o-mètre et j’ai fini par trouver la bonne entrée.

Comme les indications grosses comme ça disait que les chargements « autres que des billots » n’avaient pas à se présenter sur la balance, j’ai fait le tour. Tiens, je constate en l’écrivant que la première guérite à billots devait être pour le moulin à scie, alors que celle-ci était pour le moulin à papier. Grosse usine, je vous dis!
Je me suis stationner où j’ai pu, pour ensuite me rendre au bureau de la réception. Et le gars, qui semblait me prendre encore là pour un extra-terrestre, m’indiqua le bon quai, et me remit un plan pour que je m’y rende.

En quelques minutes, j’étais reculé au quai. Et un peu plus tard, les chariots-élévateurs, assez nombreux, se rendirent compte qu’il y avait du travail, alors l’un d’eux s’est amené afin de me délester de ma cargaison.

Et pour un client où, supposément, je devais arriver tôt parce que pas plus vite
qu’il faut, en moins de deux heures, j’étais reparti. Compte tenu de toutes les péripéties qu’il m’est arrivé, j’estime que c’est un temps rapide… Ça doit être Méo qui a trouvé ça long! Pour lui, plus de cinq minutes, c’est long… alors une heure ou deux, pourtant un temps normal, c’est une éternité!

1 commentaire:

Boubou a dit...

J'ai le regret de vous annoncer la mauvaise nouvelle.. Bernadette à été acheté et fermé...

Dommage, c'était si bon...

Ah le Scotty's... Pas toujours super super mais ont arrête pareil, pourquoi?

Le toll a Albany les vendredi après-midi, le line up qui s'étire jusque sur la 90... Les voitures folles qui naviguent entre les camions...

Maudite côte Est, je m'ennui pas tant que ça mais... chaque fois que TW me permet d'y faire un petit saut, moi aussi je redeviens légèrement nostalgique (bien que j'y ai été pas si longtemps)

Meilleur endroit pour un «green» de se faire les dents! Quand ont y survit, c'est pour la vie!

Pas comme l'Ouest... Pffff y a pas de traffic, trop de truckstop, presque pas de contrainte... trop beau pour etre vrai!

Enfin...