Autopsie d’une semaine de fou.
Dimanche soir…
Dimanche dernier, à mon retour de la semaine dernière en fait, on m’avait indiqué de laisser ma remorque au garage de la compagnie, positionnée au quai. C’est une nouvelle procédure, rendue possible parce que nous avons maintenant des quais. De cette façon, le chauffeur de ville pourra profiter de l’espace restant pour y ajouter de la marchandise supplémentaire à livrer dans sa journée.
Lors de mon arrivée à la future « ancienne place », je fais le plein et je remplis tous mes papiers. Je laisse alors mon enveloppe dans ma case, et je me rends donc au « futur nouveau garage ». Pour l’instant, la section « entretien mécanique » seulement est déménagé. Nous attendons la section « administration » pour d’ici une semaine ou deux. Notre compagnie est donc entre deux places, au milieu de son déménagement. Après m’être positionné en droite ligne devant un des trois quais, je descends et je vais ouvrir mes portes. Je remonte à bord et je commence la manœuvre d’accostage (ben, on parle bien d’un quai, alors…). Comme ce sont des quais en pente, je descends jusqu’à être bien adossé sur les coussinets.
Je descends ensuite pour aller effectuer les manœuvres de décrochage : je baisse les pattes jusqu’au sol, mais comme nous sommes en hiver, sans qu’elles ne touchent le sol complètement (sans que la remorque n’y exerce de pression); ensuite, je déconnecte les tuyaux d’air et le cordon de fils électrique; puis, je sors mon crochet pour tirer la poignée de la sellette, qui détachera effectivement la remorque du camion. Ensuite, je refais les étapes dans ma tête pour m’assurer que je n’ai rien oublié. Comme tout a été fait, je remonte derrière le volant.
J’embraye et je sélectionne une vitesse. Je relâche l’embrayage en douceur. Les roues patinent. Je choisis une vitesse plus haute; même résultat. Encore plus haute; encore même résultat. Merde (en fait, ce que j’ai dit était assurément religieux!), je suis pris ici.
Comme j’avais vu un confrère, Michel, dans l’autre cour, j’essaie de le rejoindre par radio CB. Il n’est pas à l’écoute. Je sors donc pour mettre sous les roues le peu de sel qu’il me reste. En plus, comme il est en gros « mottons », je n’ai pas de difficulté à le qualifier de « sel d’assisté social ». On dirait du sel usagé…
Je vois maintenant arrivé un camion de la route. C’est Michel qui, heureusement pour moi, vient lui aussi chercher sa remorque. Après l’avoir accroché, il se positionnera devant moi et, avec l’aide d’une chaine, il pourra me sortir de mon impasse. Comme sa remorque est chargée au maximum, il aura lui-même suffisamment de mordant pour faire avancé deux camions (et une remorque). Je sors donc ma chaine et je l’attache sur ma « pinne » dans mon pare-choc (un « Vra truck » a une « pinne » dans son pare-choc, par un vulgaire anneau que l’on doit « insérer ici » :P). J’enroule ensuite la chaine sur le pare-choc de la remorque de mon confrère, près d’un montant évidemment.
Nous regagnons chacun notre poste de commande et, tout en douceur…
- Câlice, le trailer suit! J’accroche mon micro de radio : Michel Wo, arrête, toutte suit…
Comme il continue, j’en déduis que sa radio est encore fermé! À mi-chemin de la côte, la remorque, dans un bruit fracassant, tombe sur ses pattes. Elle devait être collée par le frimas. Une fois sortie du trou, il arrête et nous descendons tous les deux. Il va bien falloir que je recule la remorque à nouveau. Nous détachons la chaine et je recule. La remorque ne veut pas s’accrocher normalement. Mais elle se soulève quand même un peu, alors je la repousse jusqu’au quai. Cette fois, je pourrai ressortir mon camion par moi-même. Le problème était donc que la remorque était collée à la sellette par une force mystérieuse…
Je me rends donc à ma remorque vide, que je dois ramener chez notre sous-contractant pour le lac Saint-Jean. Je me positionne, je recule, bang, je suis accroché. Je descends du camion pour aller accrocher fils et tuyaux, je vérifie que la poignée est bien entrée complètement (signifiant un accouplement complet) et je relève les pattes.
Je retourne derrière le volant et… ça patine encore!!! Arghhh!
- Michel, j’ai encore besoin de ton aide!!!
Maudite remorque vide qui ne pèse rien… Nous nous repositionnons et rattachons le tout. Je sors de mon stationnement tout en douceur.
Par la suite, je me rends dans la cour de notre sous-contractant pour y laisser ma remorque. Ensuite, je vais stationner mon camion dans notre cour. Caro m’y attends pour me ramener à la maison.
6 février 2008, 21 heures 30
Lundi, j’avais communiqué avec Alexandre, le répartiteur, pour l’aviser que je serais prêt pour repartir mercredi (aujourd’hui). Ça tombait bien, de leur côté, ça semblait plutôt tranquille.
Cet après-midi donc, j’arrivai au camion sur la fin de la journée. Initialement, je devais aller porter une remorque vide chez notre sous-contractant, puis prendre la mienne, déjà chargée, prête à partir pour l’Illinois. Après avoir téléphoné au bureau, on m’avisa que je pouvais prendre directement ma remorque et partir.
Je me rendis donc au relais de l’est de Montréal pour y recevoir mes papiers pour la douane par télécopieur. En téléphonant au bureau pour le donner le numéro, on me demanda d’aller tirer un autre confrère, Denis, qui était pris dans notre autre cour, celle de Lachine! Je riais dans ma barbe, car moi est Michel, nous nous étions quittés en disant que nous étions maintenant la division Remorquage TJB!
Denis m’appelle donc pour me raconter ses déboires. Dans ces moments-là, on a toujours besoin de l’effet psychologue. Je me suis donc fait psychologue pour le laisser ventiler… Il conclue en disant que si par hasard un samaritain se pointait, il m’aviserait pour que je ne m’y présente pas pour rien. Marché conclu!
Je partis donc pour la grande traversée de Montréal en heure de pointe hivernale. À la Première Chaine, Yves Desautels annonçait la catastrophe pour presque partout! À mi-chemin, Denis me recontacta, tout heureux et surtout, libre comme l’air! Je pouvais donc continuer ma route régulière.
Après un court arrêt à la halte routière de Bainsville, ON, je repris la route. Rendu vers Cardinal, peut-être un peu avant, la neige est devenue assez dense. La visibilité diminuait de minute en minute. J’ai dû ralentir ma vitesse. Tout juste avant d’arriver à Kingston, ON, j’étais à me demander si je poursuivais jusqu’à Belleville ou non. J’étais plutôt en faveur d’une pause dodo à Kingston. Le téléphone sonna avec la confirmation. Grenouille, qui était environ deux heures devant moi, m’annonça que la tempête était prise depuis assez longtemps au devant de moi pour justifier un arrêt immédiat des procédures.
Je pris donc aussitôt la sortie pour le Husky, satisfait d’avoir pris cette décision sécuritaire… Après tout, demain sera un autre jour…
7 février, 9 heures 45
Tiens, la fin du monde est arrivée cette nuit. Je suis parti de Kingston peu avant 6 heures ce matin. Le stationnement était plus que plein, beaucoup d’autres chauffeurs ayant eu la sagesse de se stationner pour la nuit. Mon pare-brise était gelé au complet à mon réveil. Il faisait un froid de canard même dans la couchette. Après une courte visite à la salle de bain, je suis retourné au camion pour terminer mon café. Quelques minutes plus tard, j’étais sur la route.
Avec la circulation légère à cette heure du jour, c’était assez facile de rouler à bon rythme. Le déneigement des autoroutes en Ontario, jadis parait-il impeccable (moi-même je n’avais jamais vraiment porté attention!), est maintenant tout simplement exécrable. À peine si la voie où toute la circulation roule est « au bitume ». Et comme disait Grenouille, la voie enneigée est d’une blancheur remarquable, signe que ni sable ni sel n’ont été saupoudré!
Justement, je disais à Grenouille que la circulation allait normalement depuis mon départ ce matin. De son côté, après s’être stationné un peu en catastrophe dans la dernière halte avant Toronto, il avait ce matin mis 3 heures 45 pour faire une centaine de kilomètres. Ouf! Et Morue, de retour d’une petite vacance à Cuba, plus en avant de nous, a mis hier toute la journée pour aller de Cambridge, ON à Marshall, MI (moins de 500 kilomètres)… Ça promet!
J’étais tout heureux de mon sort actuel… jusqu’à ce que j’arrive au kilomètre 419, où la circulation s’arrêta net. De là, j’ai roulé à 10 ou 15 kilomètre-heure jusqu’au relais du kilomètre 412, où j’avais décidé de m’arrêter pour diner. Je me demande maintenant comment la circulation évoluera dans la ville de Toronto. Comme c’est maintenant le temps de reprendre la route, je le saurai bientôt…
7 février, 16 heures 30
Il y a un peu plus de deux heures, je me suis arrêter, pour la pause « grignotines », au relais de la sortie 250 de la 401, à Drumbo, ON. La circulation allait bien depuis un bon bout de temps. En effectuant quelques calculs, je constatai que j’ai mis 2 heures 45 minutes pour faire 165 kilomètres. Environ une heure de perdue, ce n’est pas si mal, dans les circonstances. Peu avant midi, Lori me contacta pour savoir si je serai en retard pour ma livraison demain. L’heure de livraison non-écrite est toujours 8 heures du matin. Mais comme probablement tous les chauffeurs lui ont annoncé qu’ils seraient en retard, c’était logique qu’elle s’informe de ma situation. Et moi qui ne suis pas capable d’évaluer mon temps plus que quelques heures à l’avance. Comme à ce moment, j’étais très au ralenti dans la ville de Toronto, j’ai dit que je serais à destination vers 10 heures demain matin, au maximum midi. Comme ça, je suis assez certain de ne pas m’avancer trop. J’ai souvent la fâcheuse tendance à ne pas laisser suffisamment de temps devant moi.
La suite de la journée s’est déroulée normalement. Une fois sorti de Toronto, la chaussée était noire et mouillée. La circulation s’éclaircissant, ça allait de mieux en mieux. Je suis présentement à moins d’une heure des douanes de Détroit, MI. J’ai bien hâte de voir ce qui m’attend dans le Michigan.
Et une anecdote, comme quoi un pipi, ou même le fait de se laver les mains après, peut changer toute une journée… Grenouille avait passé la nuit à Ingleside, ON, la dernière halte avant Toronto. Il se réveilla dès 4 heures, alla à l’intérieur pour les besoins naturels et pour un bon café pour emporter. Revenu au camion, il sortit de son emplacement, que la gratte avait abondamment enseveli. Au moment de rejoindre l’accès pour l’autoroute, un autre camion tenta de faire la même chose. Tenta, parce que le camion passa l’ourlet (tsé, la bosse de neige que la gratte laisse sur le côté de la route!), mais la remorque s’enlisa, bloquant ainsi la sortie. Un bon samaritain, entendant sur son radio-CB, offrit son camion (une bête sortie des bois) pour aller tirer le camion de son faux-pas. Ce fut fait assez facilement, mais ça a tout de même pris 45 minutes. Grenouille se retrouva donc dans la ville au moment du plus fort de la circulation. Si moi j’ai perdu environ une heure, lui aura perdu presque la moitié de sa journée!
7 février, 22 heures 15
Enfin, je me stationne pour la nuit! Grâce à la fonction main libre, Caro a pu me parler une partie de la soirée, tout en confectionnant des chocolats. Elle est totalement emballée par son nouveau travail. De mon côté, après un bon souper « trop salé trop graisseux » que j’ai eu toute la misère du monde à digérer, je me suis rendu au pont Ambassadeur. L’accès au pont était libre. Par contre, il y avait beaucoup de camion en attente pour passer la douane. J’ai choisi une file parmi les quatre et, pour une fois, je semble avoir été chanceux. En trente minutes, j’étais reparti.
La température au Michigan était au beau fixe : pas de neige, pas de vent, pas de glace. Le bonheur! À Marshall, MI, je me suis arrêté au Love’s pour un dernier café. Par la suite, je me suis rendu jusqu’au Mobil de la sortie 29. Après vérification, il me reste moins de 3 heures de route pour atteindre Carpentersville, IL. Je vise donc une arrivée pour 9 heures (heure de l’est), ce qui, avec une marge d’erreur raisonnable, devrait m’amener chez mon client pour avant 10 heures (heure centrale) tel que « promis » à Lori ce matin.
J’espère que la température demain sera plus clémente…
8 février, 10 heures
La levée du corps fut relativement facile. Lorsque l’on connait bien ses besoins en sommeil, il est possible de bien gérer son temps. J’arrive assez facilement à trouver un équilibre entre un bon repos et une livraison dans les meilleurs délais.
À mon réveil, la température était très douce et, sans surprise pour cette région, une fine neige tombait du ciel. Après avoir fait mon café, j’étais sur la route. Le reste du Michigan se roula aisément. J’étais presque tout seul sur la route, un des plaisirs de se lever tôt. En Indiana, une dizaine de mile d’autoroute était fermée sur deux voies. Seule la voie de gauche était disponible… à cause de nid de poule! L’état des routes est tellement mieux aux États-Unis! Heureusement pour moi, il était encore tôt, parce qu’en heure de circulation intense, ce doit être littéralement l’enfer. La radio annonçait que « des équipes travaillent toute la nuit » pour corriger la situation. J’ai eu beau regarder, je n’ai vu personne dans les voies fermées… Peut-être était-il sur le sens inverse.
Arrivé en Illinois, malgré le décalage horaire, c’était l’heure de pointe. La circulation était dense, mais en mouvement quasi-normal. Bien sûr, la neige, que dis-je, le semblant de neige ajoutait à la pression sur les « locaux ».
Vers 8 heures 15, un message de Lori me demandant où étais-je rendu. Je lui répondis que je serais chez mon client vers 9 heures, à son plus grand bonheur! Par la suite, un appel de Grenouille. Lui qui s’était couché à l’heure où le monde normal soupe, il était sur la route depuis 1 heure du matin. Il était par le fait même presque rendu à Eau Claire, WI. Il ambitionnait de revenir dans le Michigan pour la nuit… enfin pour le dodo, peut importe l’heure où ça arrivera!
À mon habitude, dès mon arrivée chez mon client, j’envoyai un message à Lori. Quelques minutes plus tard, je recevais mon horaire pour la journée. Une première cueillette à DeKalb, IL, tout près d’ici, une deuxième cueillette à Shelby, IN, puis une dernière à Westfield, IN. Ma semaine, pourtant commencer un mercredi après-midi (pour ne pas dire au souper!), me donnera un peu plus de 2000 miles! Très bon! Il ne faut jamais sous-estimer un « Chicago »…
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