14 mars 2008

Toute une semaine - Partie 2

Une fois “débarrassé”... je devrais plutôt dire délesté… de mes deux amours, je pouvais donc me concentrer sur mon travail, soit de me rendre à Hartford, WI pour y effectuer ma livraison. Après un bon souper, où Sarah s’en est donné à cœur-joie pour nous étriver moi et Caro, je leur donnai leurs bisous et câlins, et j’étais maintenant parti pour la gloire.

Afin de ne pas trop en avoir sur les bras pour le jour de la livraison, je devais me rendre à Kingston ou à Belleville, en Ontario. Ça me donnait donc trois ou quatre heures de conduite devant moi, selon le cas. Puisqu’il n’était que dix-huit heures, ça donnait quelque chose qui se tient comme emploi du temps. Je partis donc avec un objectif réaliste en tête, et beaucoup de conviction.

Pourtant, arrivé à Morrisburg, ON, la halte routière eut raison de moi. Dans un épuisement total, je m’étendis sur le lit, pour m’endormir en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Il me resterait un bon bout de chemin à faire, mais somme toute pas si exagéré. La distance totale Dolbeau-Hartford étant joignable en deux journées de camionneur.

Le lendemain, j’étais en route de tôt matin. En effet, dans ma conception du travail, couché tôt égale levée tôt. Je me rendis presque directement à Tilbury, le point de ravitaillement non-officiel de la compagnie. Après avoir fait le plein, je demandai à mon bureau qu’on m’envoie par télécopieur mon « papier ACE » afin d’être prêt à me présenter à la douane. Comme nous étions plusieurs chauffeurs à attendre notre « fax », l’ambiance était joyeuse. Un des chauffeurs en attente baptisa l’opération Loto-Fax : lorsque la machine sonne, il y a un chanceux qui gagne le droit de poursuivre sa route! Vaut mieux en rire… mais ça retarde la journée.

Après un certain temps, je décide de demander à mon répartiteur si mon papier est « pardu dans malle »… Oups, je t’avais oublié! Tu aurais dû rappeler plus vite. Ben oui, la machine ne dérougissant pas, comment pouvais-je savoir que mon papier était quelque part en attente d’être envoyé ou en attente d’être imprimé! Ou ni l’un ni l’autre, comme cette fois-ci!

J’ai donc reçu mon papier promptement, la majorité des autres chauffeurs ayant soit reçu leur « fax », soit abandonné la partie. J’aperçu en même temps un autre de nos camions aux pompes. Ne connaissant pas vraiment nos chauffeurs (sauf quelques-uns), je ne pouvais pas savoir de qui il s’agissait, ni plus si il était à mes côtés. Je vis donc le camion partir pendant que je regagnais le mien.

Je me rendis à Windsor, ON où, selon la rumeur, il y avait une telle file d’attente que ça ne se pouvait pas. Parfois je me demande où certains chauffeurs prennent leurs informations! Il y avait bien un peu de camions en attente, mais pas de la à paniquer, du moins selon mes critères personnels.

Alors que j’étais toujours sur le pont, je vis un camion, le même que plus tôt, qui « payait le pont » plus bas. Je « fis mon temps » jusqu’à ce que mon tour arrive. À quelques minutes de la guérite douanière, le téléphone retentit au moment même où j’allais le fermer. Grenouille m’annonce que Pierrôt La Gaffe s’en va à la même place que moi et qu’il est tout juste devant moi. Bon, ça doit être lui que j’ai vu plus tôt. Je le contacterai après avoir traversé les douanes. J’ai justement besoin d’un ami pour rouler plus loin ce soir.

Une fois sorti de la zone de travaux, assez élaborée ces jours-ci dans Détroit, je communique avec La Gaffe. Comme il est environ trente minutes devant moi, et que nos idées de fin de journée coïncident, nous convenons de nous rejoindre à Marshall, MI pour y déguster notre souper. Nous ferons le reste de la route ensemble.

Nous soupons ensemble. Lui comme moi sommes plutôt brûlés, et nous voulons bien traverser Chicago et l’Illinois, mais cela ne se fera pas sans peine. Au moins, à deux, en jasant, ça ira mieux.

La Gaffe est avec nous depuis moins d’un an, alors j’en profite pour lui faire me raconter sa vie. Il était auparavant dans le merveilleux monde de l’informatique. C’est donc tout un changement de carrière, ainsi qu’une adaptation assez majeure pour sa conjointe et sa famille. Nos conjointes sont vraiment exceptionnelles de nous endurer dans ce métier de fous. Dans son cas, ça a été relativement difficile, mais tout se place tranquillement. Le bonheur se lit sur son visage.

La route se passe ainsi, parlant de tout et de rien. Après un arrêt-café à Gary, IN, nous reprenons la route pour traverser Chicago. Ce n’est pas pour rien que cette ville est surnommée la ville des vents. Entre prairie et lac, le vent souffle en tout temps. L’Interstate 94 est en construction en quasi permanence (quand ce n’est pas un bout, c’est un autre!), mais de soir, la circulation se fait bien. Puis arrive la US-41, un boulevard urbain au nord de Chicago qui nous permet d’éviter l’autoroute payante. Nous en profitons pour constater que… Un : il y a des gens qui font de l’argent par ici, car toutes les marques de voitures de luxe sont représentées chez différents concessionnaires; et Deux : ça doit surement être tranquille, car tout ce luxe est laissé dehors, sans plus de clôture ni gardien de sécurité pour surveiller tout ça!

Nous nous immobilisons dans un relais à la sortie un, tout juste avant d’entrer dans le Wisconsin. Notre objectif quotidien est atteint. Ne reste qu’un peu plus d’une heure pour demain. Nous fixons l’heure du réveil pour six heures, avec départ pour six heures trente. Je gagne ensuite rapidement le sommeil.

Le lendemain matin, je me réveille avant le cadran. Ça tombe bien, j’avais justement envie de perdre mon temps! Je saisis ma tasse à café, et je me rends au bâtiment principal du relais. Sur la vitre de la porte, un mot m’indique que les toilettes sont en rénovation bla bla bla (je ne lis pas la fin, j’irai au bâtiment situé aux pompes de carburant. Je me rends donc au comptoir à « ti-sandwich chaud du matin »… pour constater qu’ils sont tous au frigo! Je leur donne un léger bénéfice du doute car, avec le décalage horaire, il est quand même très tôt. Sauf que s’ils veulent en vendre suffisamment une fois le jour levé, ils devraient commencer à les réchauffer de tôt matin… En tout cas! Pas besoin de prendre mon café ici…

Je me rends donc à l’autre bâtiment. Je constate une nouvelle fois que nous sommes près de la ville des vents. C’est frette! Et il est si tôt qu’il fait très noir… À ma stupéfaction, les toilettes sont en rénovation ici aussi. Qui a eu cette bonne idée de condamner toutes les toilettes en même temps? Heureusement (pfff), ils ont pensé à mettre une roulotte de toilettes temporaires. C’est quand même mieux que les fameuses toilettes bleues… Au moins, c’est chauffé et il y a un lavabo… pour les fois où ça dépasse!

Ensuite, à l’intérieur pour un bon café et un « ti-sandwich chaud du matin ». Ici, il y en a, et ils sont chauds. Je retourne à mon camion pour rejoindre mon compagnon de route. Bientôt, nous sommes prêts à partir.

La route vers et autour de Milwaukee se fait bien. Nous arrivons tout juste au début de l’heure de pointe. Nous arrivons à destination vers huit heures trente. Peu après nous, Reefer arrive. C’est donc une de ces fois où nous nous suivons de près dans le savoir. Le même soir, nous avons dormi à Bainsville, Morrisburg et Cardinal, ces trois villes étant situées à moins d’une heure de distance! Et trois camions de notre compagnie chez le même client, c’est un événement!

Ce client est si vite sur le déchargement que j’ai à peine le temps d’aller échantillonner la toilette (c’est devenu la blague qui courre…) que ma remorque est vide. Déjà, il commence avec La Gaffe, pendant que Reefer se positionne à son quai. À peine un peu plus d’une heure après avoir mis le pied dans la cour, nous voilà tous les trois « vide ». Un après l’autre, nous contactons Lori au bureau, la maitresse de notre destin.

En peu de temps, nous savons que j’irai à Appleton, WI, près de Green Bay, La Gaffe ira près de Milwaukee, et Reefer ira à De Kalb, IL. Je suis heureux car je devrai revenir via Sault-Sainte-Marie et la 17, une route que j’adore (et que tous détestent!!!). Mes deux comparses reviendront via Détroit. Après les salutations d’usage, nous voici reparti chacun de notre côté.

Je me rends chez mon client. On me désigne une porte, qui est occupée. Je dois donc attendre mon tour. J’en profite pour déguster mon diner. Peu de temps après, ma porte se libère, et je prends la place de mon prédécesseur. Alors que je suis à peine positionné, le téléphone sonne. Pierrôt La Gaffe a été changé de route. Il viendra charger tout juste au sud de la ville où je suis. Il me demande si je veux de la compagnie pour la route du retour. Je suis tout content. Sur promesse de se tenir mutuellement au courant de nos temps de chargement respectif, et ainsi de se rejoindre pour revenir ensemble, nous voici bien heureux tous deux de nous revoir et de poursuivre la route.

Une fois chargé, je me suis rendu au seul relais des environs pour y faire un peu de récupération de sommeil. La montée ayant été ultra rapide, il fallait bien faire du rattrapage à un moment donné. J’envoie un message texte via le téléphone à La Gaffe afin qu’il vienne me rejoindre une fois que lui sera chargé. Ainsi, nous pourrons faire le chemin du retour ensemble. Lori me téléphone pour me dire que je dois tenter de confirmer moi-même avec mon courtier en douane si mes papiers ont bien été traités. J’essaie de les rejoindre quelques fois, mais peine perdu : personne à l’autre bout pour me répondre!

Ce relais indique qu’il offre la connexion Internet gratuite. Mais je n’arrive pas à me brancher sur leur signal. C’est une bonne chose puisque je devrai me coucher! Maudite drogue… Ce n’est pas très long avant que je ne m’endorme.

Quelques heures plus tard, en fait une ou deux, La Gaffe arrive, tout heureux d’être content! Après un bon souper, nous nous mettons en route pour Sault-Sainte-Marie. Nous longeons la baie Verte, une excroissance du lac Michigan. Ce qu’ils sont chanceux, les gens qui habitent dans cette région! La nature dans ce qu’elle a de plus beau… et une baie immense, elle-même au côté d’un lac encore plus immense. Qui en fait est un lac parmi cinq. Bon, mon petit côté « bateau » qui ressort!

Nous campons pour la nuit au relais de Rapid River, MI, un endroit très tranquille qui nous laissera environ une journée de route pour rallier la « maison » demain. J’essaie en vain de rejoindre mon courtier en douane une dernière fois. Tant pis… on verra demain ce que ça donnera.

Le lendemain, nous partons très tôt, remplis d’espoir! En effet, ça commence à sentir la maison. Vers huit heures, j’avise Lori que mon courtier n’était pas plus joignable en soirée que pendant la journée. Comme finalement nous passerons la douane vers dix heures, elle pourra s’en occuper elle-même. Nous roulons jusqu’à la dernière halte avant d’arriver au pont International de Sault-Sainte-Marie, et nous nous installons pour déjeuner.

Alors que le repas s’achevait et que j’allais vérifier avec Lori si « tout est beau je peux y aller », le téléphone sonna : Lori. Diantre! Elle lit dans mes pensées! Elle me confirma que « tout est beau tu peux y aller ». Je la remercie et, peu de temps après, nous voici sur la route.

En quelques minutes, nous arrivons au pont. Ce pont est fait en dromadaire : il a deux bosses. Chaque bosse permet le passage des bateaux dans une écluse. Il y a une écluse canadienne, et une écluse américaine… comme ça : pas de chicane! Et tout autour, le Sault, un passage peu profond ou l’eau s’écoule en cascade, un peu comme des mini-rapides. Tellement peu d’eau qu’en été, toute une panoplie de pêcheurs s’y adonnent à leur plaisir favori en bottes de pompier… sous le regard bienveillant des douaniers américains (les douaniers canadiens semblant s’en contre-crisser comme de l’an 40!). Tout d’un coup qu’un terroriste se déguiserait en pêcheur et en profiterait pour « passer à l’ouest!!!

Arrivé au poste de douane, je suis reçu par une très charmante douanière, toute heureuse de faire son travail, et de facilité le mien! Les habitué-e-s sauront que ce n’est pas chose courante. Elle passe son lecteur sur mon code à barre et dit :

- Y’a quelque chose de louche… Ah, tu es dans le système pour un autre port d’entrée. Je vais essayer de te le changer ici, pour t’éviter d’aller à l’intérieur. Je sais que ça se fait mais je ne le fais pas souvent.

Je la vois taper sur son clavier, cliquer de la souris, retape, reclique, cherche, essaie et, surtout, je vois tout son visage émettre une série d’émotion en relation avec chaque bon coup. Puis :

- Voilà, ça va aller maintenant.

Elle relit mon code à barre et, dans un élan de joie, étampe mon papier et me le redonne, toute fière d’elle, avec son plus beau sourire en prime. Je vogue sous le charme du moment. Trop beau…

Comme il y a des camions entre nous, j’avise La Gaffe que j’arrêterai au Relais Routier afin de faire le plein de carburant. En peu de temps, à peine suis-je sorti de la cours des douanes, il est dans mes traces. Nous contournons la ville de Sault-Sainte-Marie. Je fais le plein, un côté pour une journée. Nous voici reparti.

La 17 est une belle route à deux voies. Par cette route, nous refaisons la route des Indiens et des coureurs des bois du bon vieux temps. Nous traversons divers territoires, tantôt indien, tantôt français, tantôt anglais. Presqu’un cours d’histoire (à écouter : Une épinette noire nommée Diesel, avec Serge Bouchard, Première Chaine, Radio-Canada : récit d’un voyage sur la Trans-Canadienne sur toute sa longueur).

Après un court arrêt à Nairn Centre, situé peu avant Sudbury, nous reprenons la route pour ne s’arrêter à nouveau qu’à Corbeil, situé juste en banlieue de North Bay, à l’est. Dans ce village, il y a, croisant la 17, un centre d’affaire comprenant essence, dépanneur, restaurant et locaux vides! Dans le dépanneur, on y sert de succulentes pâtisseries et pains frais du matin (encore chaud à l’ouverture). C’est pour le voyageur, un arrêt obligé.

Quelques heures plus tard, nous nous séparons à Pembroke, ON, où je décide de passer la nuit (entre autre à cause d’Internet gratuit…). La Gaffe choisi de son côté de poursuivre sa route jusqu’à Cornwall, ON, où le client l’attend jour et nuit.

Le lendemain matin, nous arrivons au bureau presqu’en même temps, concluant ainsi une autre belle semaine d’aventure…

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