3 octobre 2010

Lettre à Boubou

Comme ça, le chant des sirènes a fait son œuvre... et ainsi le doute s’est installé dans ton esprit. Et tu es maintenant un indécis. C’est monsieur Léger qui va être content, lui dont le travail consiste à traquer les indécis. Mais je m’égare.

Dans ton dernier statut sur Facebook, tu indiques que tu pourrais avoir gain de cause chez Trans-West… quitte à monter plus haut s’il le faut. La belle affaire.

Je te donne mon humble opinion, bien que non sollicité. Parce que je suis déjà passé par là. Dans ma vie de plate-forme, j’étais pour une compagnie où, après trois à six mois, tu étais classé dans les meubles (lire : dans les plus vieux de la compagnie). Et ce, pour près de trois cents chauffeurs (pour environ cent camions) à mon arrivée. C’était en février il y a un peu plus de douze ans, ce qui ne me rajeunit pas… J’étais bien naïf à cette époque, autant dans le transport qu’en général, je dois avouer. On m’aurait fait croire n’importe quoi… Et cette compagnie, que j’appelle affectueusement mon « stage rémunéré », en abusait joyeusement. Sur moi comme sur tous les autres.

Ce petit préambule pour dire qu’à un certain point, je suis arrivé au même état d’esprit que toi en ce moment. Un rien aurait pu me retenir. J’aimais malgré tout ce travail, qu’en plus, sur les bonnes paroles des satanés « vieux chauffeurs », je croyais si bien payé et si attrayant de par la possibilité de prendre autant de congé que mon bon vouloir le commandait! Pour la petite histoire : la paye, tricotée d’une façon tout à fait humoristique, revient à deux gros bruns en moins comparer à celle que je fais maintenant pour une semaine semblable. Et comme mon oncle Marc me le fit remarquer avec justesse, « du congé sans solde, n’importe qui va t’en donner, puisqu’il ne te paye pas ». Ouin, ben évidemment, ai-je réfléchi plus tard... Malgré tout ce que je n’y aimais pas, ainsi que le surplus de travail que ça aurait occasionné, un transfert dans la section B-Train m’aurait retenu. Meilleur salaire à cause de la prime, disparition des fameux « Interstate » (transport illégal intra-États-Unis) et surtout, répartition à l’ancienneté, avec des chauffeurs qui se respectent et se font respecter. Le rêve, mais quand même en plate-forme... Avec le recul, là encore, ça aurait fait un temps, mais j’aurais probablement fini par me tanner, et quitter quand même.

Bref, ma situation valait, à l’époque, la tienne actuellement. Écœuré, mais d’une certaine façon, pas « game » de tout quitter! Je dirais qu’il y eut presqu’un an de réflexion avant de passer à l’acte.

C’est pour ça que je m’en voudrais de ne pas te souligner que, il y a quelques mois, tu as atteint un premier niveau. Et tu as téléphoné chez TJB. Et il y a quelques jours, tu as atteint un autre niveau. Cette fois-ci, tu as non seulement téléphoné, mais obtenu une entrevue, un test sur route et, couronnement, un poste. Bien sur, pour toi, un travail chez TJB, ça fait encore parti de l’inconnu, de la nouveauté. Et loin de moi l’idée de te racoler. Tu sais déjà tout ce que je pourrais t’en dire, je l’ai déjà fait, en parole ou en écrit. Et ce n’est pas non plus le sens de mon propos.

Dans toutes ces années dans le merveilleux monde du transport, j’ai rapidement compris que « un chauffeur ne peut pas à lui seul changer une compagnie »… et qu’ « une compagnie ne changera jamais fondamentalement pour un chauffeur ». Ces deux énoncés sont indéniables, et je suis presque certains qu’ils s’appliquent à toutes les compagnies. Si un chauffeur arrive à faire passer un point sur une certaine partie du travail, ce ne sera au mieux que temporaire, le temps que les choses se tassent, que les esprits se tiédissent. Au pire, le chauffeur ne « fittera » plus dans le décor… ou ne satisfera plus aux critères de la compagnie.

Ce fut mon cas lorsque, prenant tout mon courage à deux mains (c’est tellement pas moi de rouspéter contre mon travail), je suis allé « dans le bureau » pour aviser que les « Interstate », c’était fini pour moi. D’abord surpris de m’entendre, moi qui ne disais jamais un mot plus haut que l’autre, ils avaient ensuite acquiescé, en m’avisant que certaines destinations me deviendraient soudainement hors de porté. Ce que je savais déjà, et acceptais, faute de mieux.

Dès cet instant, j’ai compris que je ne « fittais » plus dans leur décor. Et comme le répartiteur a droit de vie ou de mort sur chacun de ses chauffeurs, dans bien des cas, si besoin est, la vie sera dure. Une connaissance à moi avait atteint ce point, mais plutôt que de comprendre le message, en était réduit à rouler jour et nuit afin de se sortir un salaire décent. Ayant compris mes capacités, il m’était impossible de faire de même. De jour OU de nuit, mais jamais les deux en même temps! C’est ce que j’ai appelé la période de répartition contre-productive. Si j’avais du temps, on me donnait un voyage court, et si j’avais peu de temps, on me donnait un voyage long (la majorité des voyages se faisait en une journée, entre 300 et 600 miles). Avec comme résultat que je me retrouvais chez mon client « juste assez trop tard » pour livrer, donc « on attend à demain matin » que le préposé soit de retour, préposé qu’une fois j’ai même croisé à sa sortie de l’usine à quatorze heures! C’est long jusqu’au lendemain matin… Et c’est rare les stationnements (et je ne parle même pas des relais de camions) dans le New Jersey. Quand j’ai trouvé, il était vingt heures!

Tout ça pour dire (non mais, y vas t’y aboutir?) que, dans ta réflexion à savoir si tu fais le bon choix, et que toi seul peux faire, n’oublie pas que, obtiendrais-tu un camion attitré et un travail solo (j’imagine que l’un ne vas pas sans l’autre, mais pas obligatoirement), il serait fort probable, si je me fis à bien des commentaires externes, et quelques internes, que tu ne « fitterais » plus dans leur moule, eux faisant du travail en équipe et en camion partagé. Et dans quelques semaines, quelques mois peut-être, la tension et les frictions seraient de retour… Sans compter que, passerais-tu au-dessus de « celui qu’on ne nommera pas ici », qu’il aurait fort probablement une influence plus ou moins grande sur le reste du bureau. Et donc sur ta vie sur la route...

Parles-en avec quelqu’un que tu connais bien, qui faisait du solo et qui, soudainement pour une raison obscure, ne « fitta » plus dans le moule et est de retour en équipe...

2 commentaires:

VeNuS|| a dit...

Tu sais, tu as tout a fait raison!


Et Mathieu, j'espère sincèrement que tu vas l'écouter. Ca fais plusieurs personne de l'extérieur qui te donne le même conseil, différement.

En plus que lui yé vieux, fak ya raison! :)

Unknown a dit...

Jeff... Le sage...
Je sais pas où tu trouve toujours toute cette inspiration, mais tu m'impressionne chaque fois.
Je suis de ton avis, mon expérience professionnel personnel confirme tes dire.