J'étais arrivé par un beau lundi
matin. Je m'étais rendu, enfin, au garage. En effet, je devais me
rendre depuis maintenant trois semaines afin de faire installer mes
pneus pour l'hiver, mais surtout faire effectuer le changement
d'huile. Passe encore pour les pneus, l'hiver n'étant pas encore, à
ce moment-là, débuter, mes vieux presque-fesses pouvaient encore me
rendre de bons services. Pour le changement d'huile, en ajoutant
environ quatre à cinq milles kilomètres au compteur chaque semaine, je dépassais
de plus en plus la limite normale, fixée chez nous à trente milles
kilomètres pour les camions parcourant les États-Unis. Notez que le
réservoir contient environ quarante litres d'huiles. Et qu'un
changement aux trente mille kilomètres arrivent à peu près aux six
à huit semaines dans mon cas.
Le samedi suivant, nous avions un
souper pour le quatre-vingtième anniversaire de naissance de Tante
Anna. Anna est pour ainsi dire la deuxième mère de Caro (la
première, Brenda, étant décédée alors que Caro avait six ans).
Je me devais donc d'y être sous peine de me faire littéralement (et
probablement physiquement) arracher la tête... Il me
fallait donc arranger mon horaire en conséquence, ce que nous avons
tout le loisir de faire chez TJB (en autant que vous avez le
moindrement d'expérience chez nous).
Par contre, arrivant un lundi, il faut
ben prendre le mardi de congé (ce qui laissera aussi le temps au
garage de faire son travail), et pour être de retour vendredi soir
au plus tard, il ne reste pas trop longtemps pour la semaine de
travail! Jean-Luc, le répartiteur, me dit, semi-blagueur :
- J'ai un Whitestone, NY...
N'ayant aucune limite, je demande :
- C'est près de où, de quelle
ville qu'on connaît? (parce que c'est grand, l'état de New York)
- Ben, New York là...
Ah, un New York en ville... bon, je lui
laisse le bénéfice du doute, car il a l'air blagueur et que d'ici à
demain en fin de journée, il coulera ben de l'eau au dessus des
ponts (adaptation saguenéenne du proverbe). Je ne suis pas contre,
parce que les autres qui y sont allé nous ont confirmé que « ça
va ben, on peut même coucher chez tous nos clients » (on en a
quatre ou cinq différents). Mais disons que ça me tarabiscote un
peu. Drôle de sentiment (mais vraiment rien pour refuser un tel
voyage, comprenons-nous bien)... Disons que ce sont des voyages dont
beaucoup de chauffeurs ne veulent même pas entendre parler, au point
de sortir les menaces de quitter la compagnie.
Après une bonne mise à jour du
potinage, Martin me remet les clefs du nouveau Sebring et me fait
signer les documents requis. C'est nouveau, mais bon, mon
concessionnaire fait la même chose lorsqu'il me prête un véhicule.
Je peux donc retourner à la maison pour la durée de mon congé.
Dans la journée de mardi, Jean-Luc
m'envoie un message disant que « ça va marcher pour
Whitestone »! J'en profite pour aller voir où se situe cette
ville sur Google Maps. C'est effectivement dans le Queens de New
York. Mais j'ai toujours un doute à savoir si le beau Jean-Luc me
pousse une blague ou ben si il me donnera vraiment ce voyage. En même
temps, comme c'est le genre de voyage dont personne ne veut, il ne
lâchera pas son poisson si facilement!
Le mercredi matin, j'ai commis une
erreur. En fait, sur le coup, je ne le savais pas encore. Je suis
parti de tôt matin, étant donné que ça me prend un minimum de
deux heures pour me rendre au bureau (plus les délais de la
circulation et des travaux). Pour une fois, le voyage s'est très
bien déroulé. Je suis arriver au bureau vers onze heures... Le
problème, c'est que Martin et son équipe n'avait pas terminé les
travaux. En cour de route, ils ont découvert d'autres besoins, comme
le système antipollution (quoi, ce n'était pas déjà fait?) et un
roulement de roue, entre autre.
Normalement, le plan était que je
prenais mon camion, je retournais à Montréal-Est afin de ramasser
ma remorque pour Whitestone. Devant l'ampleur des travaux, Martin et
Jean-Luc ont fini par décider de me faire amener ma remorque au
garage par un autre chauffeur, me permettant ainsi de partir quelques
heures plus tard sans créer de problème d'horaire.
J'ai eu une invitation du patron à
dîner sur le champ. Bon, ce sera ça de pris! Nous avons pu placoter
de tout et de rien. Et revoir Madame Chose, une des serveuses que je
n'avais pas vu depuis le temps où je restais juste en face du
restaurant. Elle s'est informé de la santé de Sarah, ce qui m'a
fait chaud au cœur : j'aime bien lorsque je laisse une certaine
impression là où je passe régulièrement...
J'ai fini par recevoir mon camion à
seize heures trente! Ouf... et en plus, le roulement de roue qui
coule légèrement n'a pas pu être réparé (ce qui n'est pas bien
grave, rassurez-vous), parce que mes essieux sont extra-terrestres et
que les concessionnaires des environs n'en ont pas sur les tablettes.
Ce fut la même chose lorsque nous avons chercher des enjoliveurs de
bout d'essieux. Introuvable!
Restait à attendre la remorque. Tout
ce temps m'a permis de mettre à jour tous mes papiers. Je me suis
ensuite rendu dans le camion. En ouvrant l'ordinateur, j'ai constaté
qu'il y avait désormais une connexion Internet de disponible dans
les bureaux et dans une partie de la cour. Hé ben, avoir su...
La remorque arriva vers dix-neuf heures
trente! Le chauffeur la décrocha au beau milieu de la cour, où j'ai
pu aussitôt la raccrocher. Après une dernière visite à la salle
de bain, j'ai pu enfin partir! Dire que j'étais arrivé huit heures
plus tôt... De là mon erreur citée plus haut : j'aurais
normalement dû téléphoner à Martin dès le matin afin de savoir
où il en était rendu. J'aurais alors appris que je pouvais prendre
mon temps.
Une heure plus tard, j'arrivais à la
douane de Champlain, NY. Je n'y passe pas très souvent, mais le
réaménagement (il y a maintenant quelques années) en a fait un des
ports d'entrée les plus efficaces, qu'il est très agréable de
fréquenter. Par contre, d'une visite à l'autre, je ne suis jamais
vraiment certain de la façon de procéder.
Comme j'étais presque seul, et grâce
à mon visage d'honnête homme, je suis passé en un rien de temps.
Je me suis un temps demandé si c'était l'heure du café dès le
relais chez (derrière en fait...) Champlain Peterbilt, à la
première sortie de la I-87. Bah, je peux bien me rendre à Wilton!
Je suis donc parti à toute vapeur. Littéralement, car pour une rare
fois, j'ai mis le « pied dans la bolt », au fond, mon
Léon. Je me suis dit qu'à l'heure où j'ai pu partir, avec une
heure de livraison pour neuf heures le lendemain matin après huit
heures de conduite, en tenant compte de la circulation de New York,
je n'avais pas de temps à perdre.
J'ai donc réglé le régulateur de
vitesse, dont je ne me sers plus en temps normal, à 104
kilomètres-heures, et j'ai laissé aller la bête. Mon gros Cummins
a ronronné comme rarement, et j'ai observé la consommation
descendre (en mille au gallon, plus le nombre est élevé, moins le
camion consomme). Ça m'a fait un drôle de sentiment, mais l'heure
était grave, il y avait urgence!
Deux heures et quart plus tard, un
record pour moi, j'entrais à Wilton, NY. Je me suis dit que j'avais
bien mérité un petit repos. Après avoir évalué mon horaire,
j'avais un bon trois heures devant moi pour me reposer, ce qui
devrais me faire arriver chez le client vers sept heures, sans
compter la circulation. Mais bon, à cette heure-là, ça ne devrait
pas trop causer de problème! Une fois le cadran réglé, je me suis
laissé tomber dans les bras de Morphée...
Au réveil, je suis entré à
l'intérieur pour ramasser un café. Ensuite, sur la route afin de me
rendre dans la Grosse Pomme. Et il me restait un bon bout de chemin
avant d'y arriver. À commencer par une demi-heure sur l'autoroute
vers Albany, que j'ai contourné par la route NY-7 est à la sortie
7, qui m'amena à la I-787 longeant la rivière Hudson.
Une petite parenthèse : je viens
d'apprendre récemment (peut-être que je n'avais pas allumé) que la
rivière Hudson (prononcer à l'anglaise : Ode-sonne) qui coule
entre le lac Champlain et la ville de New York, et la baie d'Hudson
(prononcer à la française : Hude-son) ont été nommé tous
les deux en l'honneur de l'explorateur
La I-787 est selon moi une belle route,
qui longe donc à l'est la rivière et à l'ouest la ville d'Albany,
que l'on ne fera qu'effleurer en continuant sur la I-87. Ce faisant,
on arrive à l'autoroute à péage un peu plus loin, ce qui nous fait
économiser (à la compagnie) un gros deux piasses! J'ai roulé sur
ladite autoroute jusqu'à la halte de Modena, NY, soit la dernière
avant de payer les frais (à la sortie). Je remarque que le Sylvester
& Forget stationné à la première place à l'entrée allume ses
lumières au moment où je passe derrière lui. Je me stationne plus
loin, prenant la place d'un autre camion qui quitte au moment où
j'arrive. C'est l'heure de la visite à la salle de bain.
À ma sortie, il est autour de cinq
heures du matin. Le Sylvester & Forget est parti. Je pars à mon
tour. Quelques minutes plus loin, le péage m'attend : un
premier vingt-six piasses y passe. Un peu plus loin encore arrive la
halte qu'on appelle directement Le Ramapo, là où tout le monde qui
va à New York ou dans le nord du New Jersey tente de passer la nuit,
mais où il n'y a pas de place en partant. Ça manque de relais dans
ce coin-là...
Et c'est là que la nouveauté arrive :
au lieu de prendre la I-287 sud comme toujours, je continue mon
chemin sur la I-87 en direction, selon les affiches, du pont Tappan
Zee! Tu parles d'un nom pour un pont. Ce dernier est le pont le plus
au nord qui mène à la ville de New York, en passant par les
Yonkers, puis entrant par le Bronx. Wou hou... ça promet! Comme tous
les ponts là-bas, il est à péage : un trente-cinq piasses qui
part.
La route suit son cours à travers les
vallons, puis redevient un bout de route à péage. Un autre six
piasses par là... Puis arrive la grande ville. Encore un bout de
I-87. Puis, la I-95 nord (qui en fait va plutôt vers l'est).
Finalement, la I-678 sud, qui m'amène au pont Bronx-Whitestone qui,
comme son nom l'indique, fait le lien entre le Bronx et...
Whitestone, là où je vais! Un autre trente-cinq piasses. Puis, la
deuxième sortie est la mienne. Il est maintenant presque sept
heures, et la circulation commence à être dense. J'espère
seulement que je pourrai manœuvrer sans trop de problème. En ville,
les automobilistes prennent chaque demi-centimètre qu'ils peuvent,
alors parfois c'est assez acrobatique. Mais bon, on est fait fort.
Je remarque juste à temps que ma
sortie a deux voies pour tourner à droite, et que les camions sont
mieux de prendre la voie du centre pour ce faire, car le coin est
assez carré. Heureusement, lorsque j'ai le feu vert, l'automobiliste
« dans les jambes » me fait le bonheur de se tasser un
peu, me laissant le poil de cul qu'il me manquait pour tourner. Je
monte quand même un peu sur le trottoir, puis me colle à celui-ci
dans la voie de droite. Tout en poursuivant, j'observe partout car
mon client, un journal chinois, devrait être le deuxième bloc sur
la droite. Voilà, c'est bien cela... mais par où y entre-t'on?
Je prends la rue suivante et, magie,
deux autres camions y sont stationnés. Je suis sur une bonne piste!
Je me stationne « où je peux » (ça, c'est la façon
new-yorkaise de faire les choses en camion), et je pars à pied à la
recherche des quais (parce que du côté de la rue, il n'y en a pas).
J'ai bien tenté de voir quelqu'un de vivant par la porte qui était
ouverte, mais pas l'ombre d'un chinois à l'intérieur. À l'arrière,
je constate qu'un camion est à un quai les portes fermées, que mon
ami Sylvester & Forget est aussi là. Je vais le voir afin de
savoir si par où est-ce qu'il est entré. Je n'ose croire qu'il a
reculer jusque là. Ben non qu'il me dit, ça fait le tour par en
dessous du « car port » indiqué à douze pieds six! Il
faut savoir que l'état de New York a longtemps indiqué ses hauteurs
de ponts à partir de l'essieu... donc, on peut ajouter un pied et ne
pas trop se tromper. Mon ami (he-hum, me semble...) me demande si
j'ai dormi au « Modena ». Non, mais j'y ai déféqué...
lui répond-je. Bon, enfin, ça voulait dire ça!
Je serai donc le troisième à
décharger. Je retourne donc à mon camion. Je commence par avancer
les essieux de ma remorque au maximum, afin de tourner le plus
possible sur un dix cennes (à faire au dernier arrêt, genre au
« Modena », la prochaine fois) et aussi, vu le creux où
je dois passer, de simuler un abaissement de ma remorque. J'avance
ensuite au bout de la rue, qui fait un mini-rond-point. Je tente d'y
tourner... mais sans succès. Trop petit! Je dois donc reculer... et
c'est là que je goûte aux automobilistes des grandes villes. Non
mais, laissez-moi deux ou trois pouces et deux minutes que je
« claire ma marde »... Bon, voilà! Me voici à reculons.
Je dois faire la longueur de la rue, soit une dizaine de longueurs de
camion. Il y a qu'au bout de la rue, là où j'essayais de tourner,
se trouve l'entrée d'une école de mécanique auto. Les futurs
mécanos, au volant de leurs bolides montés, arrivent en trombe et
ont bien hâte de rentrer à l'école. L'un d'eux à même fait un
bout sur le trottoir afin de me contourner! Je vous le dit, il faut
des yeux tout le tour de la tête.
J'arrive bientôt au bout de la rue. Il
reste tout juste assez pour que la remorque ne soit pas sur l'autre
rue, la vraie, c'est qui vient directement de l'autoroute. Je repars
vers l'avant, et je tourne sur ma droite dans l'entrée, sous le
toit... Alors que je passe sous ledit toit, un chinois surveille afin
que je n'accroche rien. Bon, j'imagine que c'est fait pour ça, bien
que ça dise « douze pieds et six »... Ça passe, mais je
n'aurais pas mis ma main sur le toit de la remorque! Et à l'arrière,
ça tourne de justesse, vu la Caravan qui est stationnée dans la
courbe. Et comme de raison, à mesure que les employés arriveront,
de plus en plus de voitures se stationneront là où il ne faudrait
pas (c'est New York après tout)!
Après avoir lâché un bon « ouf »,
je vais me stationner derrière le Sylvester & Forget afin de
garder mon rang. Je peux maintenant déguster mon dîner, prêt
depuis quelques minutes. Belle heure pour dîner, me direz-vous?
Alors je vous répondrai que deux heures est une maudite belle heure
pour se réveiller aussi... L'un amène l'autre! La joie de partir
trop tard pour trop loin trop pressé. Une chance que ce n'est pas
toujours comme ça...
Quelques minutes avant neuf heures, le
camion au quai les portes fermées s'avance, ouvre ses portes et
recule à nouveau au quai. Voilà, c'est parti! Assez rapidement, les
cinquante-quatre rouleaux de papiers sont sorti de la première, puis
de la deuxième remorque. À mon tour maintenant. Avant de quitter,
le chauffeur de Sylvester & Forget me dit qu'on lui a dit qu'il
faudrait, normalement, entrer par la sortie et se retourner dans le
stationnement des automobiles. Je classe ça dans le pétage de broue
(ce serait impossible même en automobile de le faire, tsé genre...
À mon âge, on ne m'en passe pas des vites de même...
Je prends donc position au quai, de
biais comme de raison, car il ne faut pas que ce soit trop facile.
Bon, c'est quand même un beau biais, car nous avons tous réussi du
premier coup. Ça doit être un biais idéal! Mon seul problème est
que je n'ai toujours pas de connexion Internet. Ils ne sont pas fous,
les new-yorkais, les connexions sont toutes barrées!
Aucun commentaire:
Publier un commentaire